Ma voix

PAR MARIE-CLAUDE PARADIS-VIGNEAULT

(c) Jessica Garneau

Depuis le mois de juin 2021, grâce au soutien de Rues Principales King Est, j’ai le plaisir et le privilège de réaliser un audioguide documentaire de cinq épisodes intitulé « Les voix de la Placette ». Cet automne, j’ai animé cinq entrevues avec des personnes qui habitent mon quartier de l’est de Sherbrooke, et à présent, c’est l’heure du montage!

Le plus dur en ce moment dans le dé-rushage, c’est de m’entendre et encore pire, de décider si oui ou non je garde les extraits où l’on m’entend. C’est difficile de déterminer si mes commentaires sont pertinents, intéressants ou touchants, quand je juge sévèrement mon « parler ». C’est peut-être surprenant venant d’une fille qui parle beaucoup, mais je n’aime pas comment je m’exprime à l’oral: beaucoup trop de « tsé », des « faque », mes phrases sont trop longues, il y a des « pis toutes » et des « etcetera », je ne conjugue pas toujours bien mes verbes, et c’est sans parler de mon débit qui est bien que trop rapide! Et que dire de mes intonations?!

Vous allez peut-être trouver que je suis dure envers moi-même, mais quand on est une transfuge, qu’on a grandi entre les îles-de-la-Madeleine et des blocs bruns de Laval, dans une famille ouvrière et qu’au sein de celle-ci, on fait partie de la première génération à avoir fait des études post-secondaires, ce n’est pas facile d’entendre sa voix. Pour certaines personnes avec qui je partage des racines socio-économiques communes, c’est encore plus difficile de la faire entendre.

Vers l’âge de 8 ans, j’ai gagné un concours d’écriture dans une école primaire à Chomedey. Ça faisait alors un an que j’avais quitté les îles. J’avais composé une fiction à partir de l’histoire du Petit Prince, dans laquelle il allait à la Ronde avec sa gang (la rose, le renard, le serpent…), et entre deux manèges, ils mangeaient du crabe. Je devais en faire la lecture publique devant un gymnase rempli de parents et d’élèves. Ma prof de français m’avait fait pratiquer la lecture à voix haute, pas seulement pour réduire mon stress, mais surtout pour corriger mon accent madelinot. Finalement, au jour J, stressée pas de bon sens sur scène, j’ai lâché un « crrrrâbe », digne du Havre-Aubert, avec un gros « â » pis en roulant mon « r. » Bien des spectateurs avaient ri, dont ma professeure, mais pas moi.

À l’Université, j’ai déjà perdu des points dans un cours d’ethnologie parce que l’enseignante à l’accent pointu jugeait que j’utilisais trop d’expressions « populaires » dans ma présentation.

L’ironie dans tout ça, c’est qu’on m’a souvent dit avec étonnement et parfois même, une certaine déception: « Oh! Mais t’as pas l’accent des îles! »

Bref, vous comprendrez que même si j’assume sans complexe d’où je viens et que je me sens fière du chemin parcouru jusqu’à ce jour, il me reste encore du chemin à faire pour être capable d’assumer pleinement la place que je veux accorder à ma voix au sein de ma création documentaire.

PS: Il est inutile de m’écrire pour me rassurer sur le fait que je m’exprime bien. Discutons plutôt de classisme, celui envers les accents populaires et « régionaux » ou de choix déchirants dans le montage documentaire.

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