La mort des uns nous ramène parfois à la mort des nôtres

Je ne sais pas si c’est la pandémie, l’omniprésence de la mort et de la maladie dans les médias, à la pharmacie et même au Canadian Tire avec toutes les mesures d’hygiène dignes d’un film dystopique tourné en 1982, mais j’ai le sentiment depuis quelques semaines d’être habitée par le souvenir de mes disparues. La mort des uns nous ramène parfois à la mort des nôtres. Dernièrement, en lisant l’une des chroniques de Nathalie Plaat, j’ai pleuré le départ de ma grand-mère, décédée il y a bientôt vingt ans. Sans retenue. Des larmes-fleuves ont coulé. Et j’ai laissé aller, sans jugement. Même si ça fait longtemps. C’est là que j’ai réalisé qu’on n’enterre jamais complètement nos morts. Ils nous habitent, quelque part dans une parcelle de notre être.

mamie

Le plus beau souvenir que je garde de ma grand-mère, celui qui revient le plus souvent et qui est le socle de la mémoire que j’ai de ce que nous avons été l’une pour l’autre, ce sont nos derniers gestes, quelques heures avant son dernier souffle. La veille de sa mort, j’étais passée la voir à l’hôpital. Je savais que ma grand-mère était en fin de vie, sans trop comprendre ce que ces mots signifieraient dans la mienne. Ma mamie était devenue toute petite, toute menue, alors qu’elle avait toujours été en rondeur et en câlins aux odeurs de pâtisseries et de fleurs. Debout à côté de son lit, je regardais son corps devenu si fragile, sa peau mince comme une feuille de pâte phyllo, et douce, elle était couchée sur le côté, légèrement recroquevillée. Je ne me souviens plus de ce que nous nous sommes dit, mais j’ai le souvenir qu’après avoir remarqué que ses ongles étaient devenus longs et cassants, j’ai eu envie de prendre soin d’elle. Je lui ai coupé les ongles, avec délicatesse, avec amour, pour l’honorer.

Le lendemain matin, avant de prendre le bus pour me rendre à l’école, mon père m’a appris qu’elle était morte dans la nuit. La suite est floue, les funérailles et les retrouvailles familiales, je ne m’en souviens plus. Ça fait bientôt 20 ans, et chaque fois que je pense à elle, je revois ce dernier geste intime, entre nous deux, entre nos mains. Je n’ai pas de regret des fois où j’aurais dû aller la voir, et j’avoue qu’adolescente, je n’allais pas la visiter si souvent alors qu’elle habitait juste en face de chez-nous, puis les fois où j’y allais, mes motivations n’étaient pas toujours des plus louables: j’espérais un p’tit cinq piastres pour aller m’acheter des cigarettes, et qu’elle m’offre des galettes à la mélasse en passant. Finalement, c’est comme si toute notre histoire filiale s’était soudée et symbolisée par ce geste dans lequel tout s’est dit.

Marie-Anne Çyr est une parcelle de lumière qui m’habite aujourd’hui lorsque je m’émerveille devant la beauté du printemps s’éveillant à travers les bourgeons qui verdissent.

 

bourgeon

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