Le coeur, un outil de recherche ethnographique

Après six années universitaires en anthropologie et quelques années de pratique, j’ai encore de la difficulté à définir cette discipline méconnue. À mes yeux, l’ethnographie est une pratique plurielle et personnelle à chaque ethnographe. À travers mon approche terrain, je tente d’établir un dialogue sincère avec les personnes rencontrées. J’accepte donc sciemment de m’ouvrir aux autres personnes, de me remettre en question et de vivre pleinement les remous émotionnels de la recherche.

Certains chercheurs issus de la vieille école pratiquent le armchair anthropology, moi j’ai choisi le heartchair anthropology. C’est peut-être plus risqué et moins confortable, mais c’est certainement plus riche à échelle humaine.

Parfois, je reviens de mon terrain de recherche avec des étoiles au coeur. Comme cette fois où j’ai eu le plaisir d’interviewer Gisèle, une femme généreuse d’affection (et de sucre à la crème) qui pose un regard intelligent plein de compassion sur le monde.

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Crédit photo: Layla Belmahi

D’autres fois, mon petit coeur d’anthropo-sensible revient plus lourd. Récemment, Christian, un bénévole très impliqué aux Jardins Gamelin, mais surtout une personne que j’aime beaucoup et que je côtoie quotidiennement sur le terrain, m’a dit lors d’une entrevue filmée pour Dessine-Moi Gamelin:  » Tsé Marie, je me laisse mourir à petit feu ». Cette phrase, je l’ai entendue en boucle toute la nuit. Non, je n’essaierai pas de convaincre Christian que la vie en vaut la peine. Non, je ne tenterai pas de lui proposer des solutions dites miraculeuses. La seule chose que je me sens en mesure de faire avec lui à titre personnel (je n’aime pas l’expression « pour lui »), c’est de l’accueillir tel qu’il est, avec ses souffrances et toutes ses autres facettes. Et à titre professionnel, sur le plan de la recherche, mon rôle est de faire entendre sa voix, telle qu’elle est également.

Lors d’une visite guidée de la Place Émilie Gamelin en compagnie du comité de pilotage Amplifier Montréal, on a demandé à notre équipe d’ethnographes si nous avions le sentiment que notre recherche allait nous avoir changé à la fin de ce projet. Sur le coup, je n’étais pas capable de me projeter après le 30 septembre 2016.

Aujourd’hui, je sais que cette expérience me rend à chaque jour un peu plus humaine, plus à l’écoute et plus ouverte aux gens, tels qu’ils sont. Je ne marcherai plus jamais de la même manière dans les rues de Montréal.

Cette réflexion me ramène à cette anecdote : Il y a deux ans, alors que je travaillais au Salon du Livre de Saguenay, une psychologue tenait un kiosque pour promouvoir l’un de ses livres portant sur le bonheur. Alors que l’on philosophait sur le sens de la vie, elle m’a demandé : « Toi, Marie-Claude, c’est quoi ton plus grand objectif dans la vie ? » Spontanément, je lui ai répondu : « Devenir une meilleure personne. En fait, être la meilleure version de moi-même. »

En écrivant ces lignes, je me dis que faire de l’ethnographie ça ne changera peut-être pas le cours du monde, sauf que ça peut peut-être faire de nous de meilleures personnes si on ose l’aventure humaine du coeur.

Crédit photo: Layla Belmahi

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